Sécheresse en Arizona : les formes de l'eau
L’État américain, connu pour son aridité, s’est affirmé ces dernières années en territoire sentinelle pour la protection de l’eau et la recherche d’alternatives alimentaires.
L’État américain, connu pour son aridité, s’est affirmé ces dernières années en territoire sentinelle pour la protection de l’eau et la recherche d’alternatives alimentaires.
La sécheresse assèche l’actualité mondiale. En France, le drapeau rouge est levé : s’il ne pleut pas en mars, nous étoufferons en juin. Préfets et membres du gouvernement ont assuré qu’il fallait agir maintenant. Alors les yeux se tournent vers l’extérieur. Comment font-ils ailleurs quand l’eau vient à manquer ? En quelques années, l’état d’Arizona a réussi à s’installer comme laboratoire de rayonnement international sur la préservation de l’eau. Anne-Lise Boyer, post-doctorante au CNRS détachée à Tucson, nous éclaire sur cet État pilote. Entretien.
Quand commence-t-on à parler de sécheresse ?
La sécheresse est censée être temporaire, c’est un événement irrégulier qui se rajoute aux conditions climatiques habituelles : sur cette période de temps, le déficit en eau est considéré comme excessif. Le problème c’est que le dérèglement climatique rend la sécheresse durable. Dans le sud-ouest des États-Unis, la sécheresse dure depuis plus de vingt ans. Elle est un risque dans le sens où ce manque d’eau arrive à un tel point que les activités humaines en seront impactées : l’agriculture, par exemple, ou l’approvisionnement des villes et leurs industries. À la différence de la sécheresse, les territoires dits arides vivent avec le manque d’eau comme un état de fait et ont déjà mis en œuvre des stratégies d’adaptation pour « vivre avec », car l’aridité n’est pas un état temporaire. Les régions arides peuvent aussi connaître des sécheresses, de même pour les climats méditerranéens, comme c’est le cas en été en Espagne, en Italie, dans le sud de la France. Le sujet qui nous préoccupe est que la fréquence de ces sécheresses augmente, elles s’étendent dans le temps et s’intensifient, d’où la problématique des sécheresses hivernales qui ont frappé la France. Les décideurs ne sont pas non plus habitués à anticiper une multiplication des événements extrêmes, c’est une pression qui arrive d’un coup….
En Arizona, le travail de prévention en cas de sécheresse durable a démarré relativement tôt, car la pénurie est réelle…
L’Arizona se vante d’être à l’avant-garde de la gestion de l’eau. Il y a un travail de fond qui a été mis en place en presque quarante ans, depuis les années 1980. À ce moment-là, le gouvernement fédéral force les régions du Sud-Ouest à gérer durablement leurs ressources en eau. En effet, les cultures irriguées et les villes croissent à grande vitesse, en plein désert ! L’Arizona, dont l’approvisionnement en eau est limité, pousse doucement ses habitants à se préparer aux coupures d’eau, qui n’arrivent finalement que maintenant. En Arizona, les sources principales d’eau sont le fleuve Colorado, partagé avec sept autres États, et les nappes phréatiques, dont l’usage est fortement régulé. Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’Arizona est l’État le moins prioritaire dans l’accès à l’eau du Colorado, donc il faut trouver des alternatives urgentes car 20% de son eau lui ont déjà été retirés depuis 2022.
Les agriculteurs sont donc les plus touchés ?
Oui, cette situation de sécheresse et de pénurie est un vrai défi pour eux. La Californie et l’Arizona représentent les deux tiers de la production de fruits et légumes aux États-Unis. Nous sommes dans ce modèle d’agribusiness, avec des cultures intensivement irriguées, pour une production optimum en toutes saisons. C’est une agriculture productiviste en réalité subventionnée par l’État fédéral depuis le début du XXe siècle, dans le sens où il a financé la mise en place de barrages et de canaux, et un accès à l’eau à bas coût. Il y a désormais le risque que les agriculteurs doivent abandonner certaines cultures trop consommatrices d’eau, car les coûts de production s’envolent : une eau rare devient très chère ! C’est possible que les consommateurs aient aussi à abandonner leurs laitues iceberg d’hiver à terme…
Des alternatives pour consommer moins d’eau sont redécouvertes. Quelles sont-elles ?
L’Arizona est un État très rural, depuis le XIXe siècle. Mais d’un point de vue économique, leur ruralité ne fait que péricliter au profit du développement urbain. C’est une décision politique de booster les villes et de les rendre prioritaires dans les usages de l’eau. Les agriculteurs sont donc obligés de s’adapter. Un travail d’éducation à l’environnement et à la conservation de l’eau est mis en place, et depuis peu une aide à la transition vers de nouveaux modes d’irrigation, notamment l’irrigation au goutte à goutte. Planter sous des panneaux solaires est aussi une solution en cours d’exploration. Mais surtout, l’Arizona connaît un mouvement de retour aux modes de culture et d’irrigation ancestraux. Ce ne sont pas tellement les grands agriculteurs qui initient ce retour mais les militants autochtones et écologistes. Dans cette zone, les populations amérindiennes sont sédentaires depuis toujours, elles étaient, et sont toujours pour la plupart, des fermiers. Actuellement, ils veillent sur un patrimoine de graines de maïs, de haricots, de courges, graines précieuses car elles sont adaptées au désert. Par ailleurs, Tucson est classée City of Gastronomy depuis 2015 par l’UNESCO. Cela a réimpulsé l’importance de ces cultures et d’une nourriture locale originale.
À Tucson, des mouvements commencent à s’éloigner de l’agribusiness, en proposant la collecte des eaux de pluie, très coutumier chez nous mais ce n’est pas du tout commun aux États-Unis du fait des contraintes de la gestion de l’eau. On pousse les gens à replanter des espèces adaptées aux conditions climatiques arides : le cactus, les nopales notamment, très riches sur le plan nutritif. On redécouvre les ressources comestibles du désert de Sonora, hostile mais riche en aliments peu gourmands en eau : des épinards sauvages, les fruits des cactus, les cosses des acacias, qui peuvent être transformés en farine alternatives, ce qui permettrait de se dégager de la culture du blé héritée du passé colonial de la région.
Se tourner vers des ressources naturelles, celles du désert de Sonora, ne serait-ce pas également creuser l’impact humain sur des territoires encore relativement préservés de notre activité ?
C’est une bonne question car il y a des vraies limites à ces nouvelles pratiques. Ces dernières ont vraiment touché énormément de gens, notamment dans le contexte du Covid-19 où beaucoup se sont mis au jardinage ou au glanage. La première limite est environnementale : il y a beaucoup d’espèces protégées sur ces territoires, notamment des espèces de cactus. Il faudrait donc encadrer leur collecte, ou en tout cas là aussi procéder à un travail d’éducation sur cette flore comestible du désert, car une cueillette intensive pourrait mettre en grand danger leur reproduction, déjà sous tension du fait de la hausse des températures. La deuxième limite est sociale et culturelle. Il faut aussi que soient respectées les pratiques ancestrales autochtones. Traditionnellement, ces récoltes vont souvent de pair avec des cérémonies, des rites, notamment pour faire venir, puis accueillir la pluie en été. Il faut beaucoup de communication pour respecter ce pan spirituel, voire religieux, qui va avec ce sujet de l’eau et des récoltes dans cette région du sud de l’Arizona.
Propos recueillis par Hannah Benayoun
© Brian O'Neill